J'ai une frange depuis 64 jours, maintenant.




Mars.
Une rangée de cheveux au dessus des yeux. Comme un rideau. Je vois à travers, mais les gens ne voient plus en dedans. Ca fait du bien de se laisser respirer. D'oser. La frange est un premier pas.
C'est drôle parce que, dans le miroir, c'est ma mère que je vois. Ses traits, ses yeux, mais mon sourire. Ca me fait rire de voir que nous avons presque le même visage au même âge. Ca me rassure de lui ressembler autant. Elle ne sait pas réellement combien je suis fière de lui ressembler. Quelle femme merveilleuse elle est. J'avais une sorte de frange à dix-huit ans. Ca me rassure de la revoir, chaque jours. Sous la frange, j'étire le sourire. J'étire les bras, enlace les gens. Enlace l'Amoureux, en dépit de tout ce qu'on pourra dire. Ne plus le laisser partir. Et laisser de côté les doutes, les questions, les deux mondes si différents.

Avril.
Je laisse du répit à mon corps.
Alors doucement, je bois moins d'alcool. Je mange mieux. Et je marche. Beaucoup. Ca m'évite de penser - de marcher.  J'étire mon corps, le force à l'équilibre, le ramène à ses limites. Je bouge au fur et à mesure que je respire. Lentement. Calmement. Et je tiens les positions de yoga avant de, souvent, m'écrouler. Je n'ai pas encore acquis la patience. Mais la fois suivante, je tiens plus longtemps. J'apprends doucement à observer les détails, à apprécier les petits pas de bébé dans la progression.
Avril a fait courir mon coeur, lui a donné un rythme, comme à un coureur du cent mètres.
L'amoureux est parti. Les doutes et les deux mondes étaient là. Ils ont fait un vacarme assourdissant. Le crâne et le coeur n'en finissaient plus de se disputer, et il est parti. Ca fait vide dans le lit, dans l'appartement, dans la vie. Et ça ne change rien qu'il soit parti : les doutes sont toujours là, les peurs serrent toujours le coeur. Il n'y aura pas de tente partagée, ni de câlins pour s'endormir. Ce sera différent. Paléo sera différent. Un peu plus, et tout se brisait à l'intérieur de mon corps.  J'ai retenu les larmes. Dévoré ses lèvres. Fermé la porte et recommencé à respirer.

Mai.
La Suisse m'attend, et avec elle, les câlins, les sourires, les surprises. On a visité Lyon, avec l'Amoureux-plus-trop-plus-beaucoup. Un weekend merveilleux. Lyon m'attend peut-être dès la fin de l'été. Il faudra à nouveau faire des cartons, quitter la Garçonnière pour de bon, et s'installer - seule - ailleurs. J'avais hâte, quand il était à mes côtés. Et peur de le voir dans cette vie. Que les deux mondes ne fassent plus qu'un. Maintenant, j'ai peur, et je suis impatiente.
C'est la peur de ce qu'il y a après, de l'inconnu, de ce brouillard qui donne du rythme à mes heures.
Viens, l'été.

Février est le mois le plus court, heureusement




Il y a des ratures plein mes carnets. Les listes-des-choses-à-faire s'allongent et n'en finissent plus. Je pense que c'est l'année des vingt-cinq ans et qu'elle me fait sans doute plus peur que celle des vingt-quatre. Je n'aurai plus le droit aux réductions SNCF, plus le droit aux réductions étudiantes, plus le droit à tout ce qui faisait encore de moi une adulescente. C'était bien, pourtant, la prépa folle, à dévaler la pente du boulevard Victor Hugo pour courir du lycée au travail et du travail aux soirées avec "les gonzs" et des soirées à mon lit. Et de m'écrouler de fatigue, avec le sourire aux lèvres de vivre aussi intensément. C'était bien, pourtant, l'université à Lyon, les couloirs bondés de monde, les conférences d'histoire de l'Art, la collocation à trois, puis quatre, puis deux, puis plus, et le garçon aux chaussettes blanches, et les discussions en italien-espagnol autour d'une bouteille de rhum. C'était bien, pourtant, le temps de Cap Martin, l'insouciance de nos vingt-ans, à courir pour attraper les trains, les talons dans une main, une cigarette dans l'autre, à jouer à l'équilibriste sur une bouteille de tequila.

Je lis le recueil de poèmes que maman m'a offert un jour. Ou plutôt,  je dévore. Sur la seconde de couverture, il y a sa dédicace à l'encre bleue, avec son écriture qui ressemble tellement à celle de grand-mère. L'encre s'efface un peu. Je devrais la recouvrir de plastique, pour qu'elle demeure encore un peu. Et partout dans le livre, il y a mes marques à moi. Un cœur, sur "Liberté", de Paul Eluard. Je n'ai pas rempli le cœur, mais je l'ai dessiné d'une traite. Les premiers vers de "La nuit" sont entourés. Les derniers aussi. Pourquoi ? Je ne me souviens pas. Ça avait l'air important, mais j'oublie toujours les pensées fragiles. Les pages de "Barbara" sont cornées et même un peu déchirées. Il a toujours été mon préféré. Sur la page de "l'Adieu", d'Apollinaire, il y a le début d'un poème que j'ai proprement raturé à la règle et au crayon gris-gras. Il faut que je relise Paroles, maintenant. 

Et puis il y a l'habitude qui s'installe. La routine établie. Le rythme de la semaine, l'attente du weekend, le manque de sommeil, le manque de temps, le travail qui prend toutes les miettes de minutes que je laisse filer. L'amoureux dessine des formes sur mes cuisses. Je laisse faire, je laisse dire, je laisse tranquille ma machine à pensée. Profiter de la simplicité de la confiance. 
Hiver. Cannes. Froid. Écharpe. Manteaux. Isola. Neige. Baume à lèvres. Frange. Pas frange. Douceur. Pull.Thé. Cigarettes. Boum, la voiture. Câlins. Cœur. Cris. Des listes. Gants. D'autres listes. Aller-retours. Draps. Chaleur. Tricoti-tricota.
Janvier s'en va comme il est venu.
Viens, Février. 



La photo, ce sont les envies Pinterest. 

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